mercredi 16 novembre 2011

On causera de gouvernement aux Rencontres de Cannes les 2,3 & 4 décembre 2011


LES RENCONTRES DE CANNES — les 2, 3, & 4 décembre 2011
Espace Miramar (Cannes)

2012 Pour faire quoi ? Comment ?

Avec David ABIKER - Leili ANVAR - Philippe ASKENAZY - Karol BEFFA - Olivier BISCAYE - Alain CABRAS - Roland CAYROL - Jean-Marc DANIEL - Eric DE MONTGOLFIER - Emery DOLIGÉ - Frédéric FERNEY - Philippe FREMEAUX - Yvan GASTAUT - Franz-Olivier GIESBERT - Jean-François KAHN - Benjamin LANCAR - Gérard LECLERC - François LENGLET - Elisabeth LÉVY - Jean-François MATTÉI - Nordine NABILI - Bernard PERRET - Pierre-Henri TAVOILLOT - Benoit THIEULIN.








Programme sur 

www.rencontresdecannes.fr et l'application I'Phone I'Pad App Store RDC
Débats à suivre en direct sur  www.france3cotedazur.fr

Un coup d’Etat des marchés ?


C’est le nouveau concept à la mode : le coup d’Etat des marchés ! Constatant les démissions en chaîne à la tête des gouvernements dans un contexte de crise, on en déduit que ce sont les marchés qui imposent désormais leur volonté au peuple. Et, il suffit de remarquer, en outre, que les nouveaux dirigeants sont, pour certains d’entre eux, des anciens de Goldman Sachs, pour en tirer les conséquences … évidentes : la ploutocratie mondiale a définitivement vaincu la démocratie nationale. Les « 200 familles » ne sont plus « bien de chez nous », mais dans un espace indéterminé, ressemblant à l’Olympe manipulateur des héros de l’Iliade.
            Face à cette lecture simpl(ist)e et efficace, qui est en train de tourner en boucle, il faut opposer au moins trois arguments.
            1) D’abord, il ne s’agit nulle part de « coups d’Etat » : les changements se font en conformité avec les règles constitutionnelles de chacun des pays. A aucun moment le processus de la démocratie représentative n’a été transgressé.
            2) Ensuite, avant même de voir la main des marchés, il faut noter que ces gouvernements ont sauté d’abord et avant pour ne pas avoir su apporter des réponses satisfaisantes à une crise qui est à la fois politique, budgétaire et économique. Certes, on reproche aux « marchés » et aux « maîtres franco-allemands de l’Europe » d’avoir interdit à Papandréou de faire appel au peuple par le referendum. Mais il faut rappeler que ce referendum était dans l’esprit du désormais ex-Premier ministre grec moins un « appel au peuple » qu’un coup politique de la dernière chance pour tenter de sauver sa majorité. Le fait que ce coup politique puisse avoir de graves effets sur les autres Etats européens, qui avaient apporté leur aide à la Grèce, permet — me semble-t-il — d’expliquer et de justifier les « aimables conseils » des chefs de ces autres Etats.  Il ne s’agit pas en l’espèce d’une pression des marchés, mais d’une pression des autres démocraties dans un espace européen institutionnel commun. Où est le mal ? J’ajoute qu’il y aurait une certaine ironie de l’histoire à voir les marchés ait souhaité déboulonner le très libéral Berlusconi, longtemps considéré comme le plus beau fleuron du capitalisme financier.
            3) Enfin, il y a un « très » léger simplisme dans l’analyse qui consiste à opposer marché et peuple comme deux figures adverses. A vrai dire, ni les uns ni l’autre ne sont des entités repérables. Il n’y a pas, d’un côté, les méchants hommes d’affaire planqués dans leurs buildings de verre ; ni, de l’autre, le bon peuple travailleur et innocent. Cette logique complotiste ne fait pas droit à la complexité de la situation. Le marché comme le peuple sont des processus et non des entités. D’un côté, on a un processus complexe de création de valeur, dont une partie (financière) tend à échapper à toute espèce de maîtrise, quand bien même il y a à sa base des fonds de pension rassemblant les économies de gens du peuple bien réels ; d’un autre côté, on a un processus tout aussi complexe de création de volonté générale (élection, délibération, décision, élection, …), qui suppose de se garder de deux dangers : la technocratie (ou le mépris du peuple) et la démagogie (ou l’idolâtrie du peuple). Le grand défi actuel est de faire en sorte que le second processus (démocratique) garde la main sur le premier (capitaliste) dans un contexte de mondialisation où bien des pays, impatients de mettre en œuvre le premier pour entrer dans la prospérité, négligent, pour le moment, le second. De ce point de vue, nous ne sommes pas prêts de sortir de la mondialisation ! 

mardi 15 novembre 2011

Un week end en Hollande !


François Hollande a passé un sale WE : Babar pour la droite ; atomisateur pour les verts ; pilote d’un rétro-pédalo pour le front de gauche …  Cette série de provocations a vocation à le faire sortir de ses gonds et à l’obliger à s’exposer alors même qu’il tente de s’installer dans une durée plus sereine. Il vise le silence après la surexposition médiatique des primaires ; il tente de lancer le travail sur le projet (vite des idées !) ; il se méfie de s’user trop vite …  Tel est le dilemme du candidat en campagne avant la vraie campagne : être là toujours sans être là trop tôt. Cette présence-absence (et le « flottement » sur-commenté) va être encore délicate à conduire pour lui pendant quelques semaines.
A droite, la ligne est claire : le président travaille et n’a pas le temps de s’amuser à être un pré-candidat, même si on sent (après le discours sur la protection sociale que ça se rapproche !) ; et les lieutenants jouent les « portes-flingue ». De ce point de vue, l’image du Babar n’est pas du meilleur goût, même si elle est efficace. Quand nos élus cesseront-ils de céder à la tentation des bons mots ? Pas sûr du tout que ce soit efficace (au-delà de tout jugement moral sur la chose) dans le contexte d'une crise aiguë. Cela ne convainc que ses propres partisans ; exaspère ses adversaires (qui vont se creuser la tête pour rendre la pareille) ; et désole tous les autres : c’est une contribution supplémentaire, hélas, à la dévalorisation du rôle des politiques, qui se mettent à imiter les guignols de l’info, censés pourtant les imiter. Pourquoi s’acharnent-ils donc à scier la branche sur laquelle ils sont assis sur la tête … ? Et, en plus, le ciel risque de leur tomber dessus, si la perspective d'une présidentielle entre Babar et Astérix se confirme ! Vive la politique !

lundi 14 novembre 2011

Qui doit gouverner en démocratie ?

par P.-H. Tavoillot

On sait ce qu’est la démocratie : « le gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple ». Mais la question de savoir « qui est le peuple ? » reste une énigme, qui est au cœur des grands défis du présent. Le latin rend mieux la difficulté : le peuple est-ce le populus ou le plebs ?
            Le Populus c’est l’ensemble de la communauté nationale, considéré d’un point de vue idéal : la sagesse collective, l’intérêt commun, ou ce que Rousseau appelait la « volonté générale », c’est-à-dire non pas la somme des volontés particulières, mais une seule et même raison collective. C’est là sans doute une belle idée, mais bien abstraite et surtout difficile à incarner dans des institutions.
            Le Plebs, en revanche, c’est la populace, la masse, les gueux, avec ce que cela connote d’ignorance, d’égoïsme, de versatilité, voire de violence. C’est une image menaçante, mais c’est aussi la source de l’énergie, le cœur de l’action, la réalité vivante et historique d’un pays.
            La démocratie s’installe sur cette ambiguïté d’un peuple à la fois héroïque et diabolique, avec d’emblée une double tentation politique : d’un côté, la technocratie, ou l’idée qu’il faut des élites pour guider le vilain plebs vers le beau populus ; de l’autre, la démagogie ou le populisme, à savoir l’identification du populus élitiste au plebs charnel.
            La démocratie balance entre ces deux défauts sans jamais parvenir au bon équilibre ce qui alimente son incessante critique (c’est « le pire des régimes à l’exception de tous les autres ») et la continuelle déception à son égard. Regardez l’Europe et sa crise gravissime : c’est le résultat d’un triomphe de la technocratie par défaut de peuple. Et le grand défi à venir sera de parvenir à créer le peuple (demos) et le pouvoir (cratos) européens en même temps … et, qui plus est, très vite ! Regardez, d’autre part, notre campagne électorale : à peine commencée, elle est guidée par les « rêves éveillés » d’adolescents attardés en mal de super-héros qui aspirent à « démondialiser », à faire disparaître les agences de notation, à abolir la finance et à mâter les banques. Bref tous ceux qui, loin des responsabilités, oublient qu’« après une campagne en vers, il faudra gouverner en prose », comme disait un ancien maire de New York, Mario Cuomo.
Contre ces deux dérives, il faudrait parvenir à se convaincre que le peuple de la démocratie n’est pas une figure idéale (Populus ou plebs) qu’un politicien devrait incarner pour gouverner ; mais qu’il désigne d’abord et avant tout une méthode de gouvernement. C’est cette méthode que l’élu doit savoir représenter. Sur le papier, elle est simple et limpide : elle exige 1) de délibérer publiquement ; 2) de décider politiquement ; 3) de rendre des comptes électoralement. Mais dans les faits elle est très complexe à mettre en œuvre, surtout pour ce qui est de la décision politique soumise à une contestation hyperbolique. Le politicien est en effet la cible de toutes les détestations, même paradoxales : il est perçu comme un puissant incapable, un corrompu surpayé, un démagogue méprisant, un gesticulateur frileux … A quoi il faut ajouter qu’il opère dans un contexte où les contraintes politiques, économiques et environnementales dépassent le cadre de l’Etat-Nation ; et où la technicité des dossiers atteint une ampleur inégalée. Bref, l’ensemble de ces facteurs rend l’exercice du pouvoir démocratique, contesté à l’intérieur et contraint à l’extérieur, extraordinairement difficile.
C’est cette extrême difficulté que le citoyen doit désormais intégrer lorsqu’il répond pour lui-même en votant à la question « qui doit gouverner ? ». Il doit veiller à ce que son indignation spontanée contre le pouvoir ne mette pas en péril l’exercice même du gouvernement. Faute de quoi, il risquerait de jeter le demos avec l’eau du cratos.


--> Le débat se poursuit sur France 3, mardi 15 novembre : Ce soir (ou Jamais !) ; puis au Collège de Philosophie, Samedi 19 novembre 2011 (Sorbonne Amphi Michelet), 14h-17h avec Marcel Gauchet et Eric Deschavanne ; et sur France Culture, le lundi 21 novembre 2011, en direct à partir de 10h45.

mercredi 9 novembre 2011

Un peu de médias !

Voir L'Express (9/15 nov. 2011) : Qui doit gouverner en démocratie ? 
et
Revue de presse France inter 9/11/2011 :
http://www.franceinter.fr/emission-revue-de-presse-la-revue-de-presse-091111
et

www.vielocale-viepublique.fr

mardi 1 novembre 2011

Les idéologies après la fin des idéologies

Cet article paru dans les Cahiers Français, n° 364, septembre/octobre 2011,

Les idéologies après la fin des idéologies

Après avoir décliné les trois registres de signification auquel renvoie le mot « idéologie », en insistant sur l’acception qui en fait un succédané terrestre des promesses eschatologiques, Pierre-Henri Tavoillot rappelle combien – et à partir de quels ressorts – le XXe siècle s’est montré « consommateur » de ces formes de pensée. Si dès les années qui ont suivi la Seconde Guerre mondiale plusieurs auteurs ont pointé la mort des idéologies entendues comme des systèmes totalisants, l’après 1989 a vu naître un discours selon lequel le triomphe de la démocratie libérale de marché marquerait la fin de l’histoire. Ce scénario, et il en va de même pour celui annonçant un soi-disant retour du religieux, pâtit d’une analyse erronée. L’écologie ou encore l’« indignationnisme » peuvent-ils alors en revanche s’affirmer pleinement comme de nouvelles idéologies ? Il semblerait que non, et dans cet échec à ressusciter l’ampleur des mobilisations d’antan on peut voir un progrès des facultés critiques des démocraties.

samedi 29 octobre 2011

Première confrontation : Hollande vs Sarkozy (acte I, scène1)

Après l'intervention de Nicolas Sarkozy, le jeudi 27 octobre, voici la réaction de François Hollande dans le Monde du 29 octobre. Cette première confrontation indirecte permet de poser quelques jalons dans la campagne à venir qui est lancée sans être lancée.
Du côté du président en exercice, deux registres : celui du protecteur et celui du décideur. Devant la gravité de la crise, il se présente comme celui qui évite aux Français les déboires grecs et qui est à l'aise dans les phases d'accélération de l'histoire. Sur ces deux registres, — et surtout sur le second — il m'est apparu fort crédible ; et même très bon. En revanche, deux défauts importants dans son discours, ce que n'a pas manqué de rappeler François Hollande. D'abord, le fait qu'il n'est pas sans responsabilité dans la dégradation du déficit français. Certes, le déficit budgétaire date de 1974, mais il n'était pas impossible d'adopter une position plus rigoriste en la matière, surtout avec un premier ministre, qui — avant même la crise — parlait déjà d'un Etat « en faillite ». C'était alors une petite provocation : on mesure le chemin parcouru. L'autre défaut est le silence sur le véritable tournant d'un président élu avec un programme dans un contexte plutôt favorable et qui doit changer de cap quelques mois après : bouclier fiscal, éloge du prêt hypothécaire, (pour favoriser une France de « propriétaire »), non respect des engagements européens en matière budgétaire, … tout cela devient obsolète dans un contexte de crise. Il faudra que Sarkozy trouve un discours convaincant pour expliquer ce virage, au-delà de la nécessaire adaptation pragmatique au temps présent.
Dans sa réponse, François Hollande est donc assez juste dans sa critique — sauf quand il s'autorise une ironie facile (ce sera décidément son grand défaut !) sur la mise en cause sarkozienne des « erreurs historiques de la gauche » (Retraite à 60 ans et 35 heures) : le « pourquoi n'est-il pas remonté à 1936 abc les congés payées, ou même au début du XXe siècle avec la journée de 8 heures et le repos dominical ? » n'est pas la hauteur. Car l'enjeu de la défense du modèle social dans un contexte de mondialisation (et de dumping social) mérite mieux.
Juste dans la critique, François Hollande est moins performant dans la proposition. Il reproche à Sarkozy de n'avoir pas convaincu l'Allemagne sur l'adossement du Fonds de stabilité à la BCE : qu'aurait-il fait de plus pour persuader Merkel ? Il lui reproche d'avoir ouvert la porte à la Chine : n'est-elle pas déjà ouverte ? Il reproche un bricolage fiscal avec un probable taux intermédiaire de la TVA : mais le moment est-il choisi d'un « grand soir fiscal » ? Bref, François Hollande a encore beaucoup à faire pour apparaître comme un gouvernant plausible au-delà de l'opposant brillant qu'il est devenu.
Au final, l'étude des sondages va être intéressante : si Sarkozy ne décolle pas après avoir joué son meilleure registre : un accord à 4 heure du mat. et le G 20 cannois, on pourra dire que ses chances se réduisent. Si les sondages bougent, cela promet un beau match.

jeudi 6 octobre 2011

Qui doit gouverner ? Question d'actualité !

Je suis un sans-famille … en politique s'entend. J'ai des sympathies à gauche, mais celle-ci m'exaspère souvent par son moralisme bien-pensant ; le réalisme de la droite me séduit, mais ses simplifications outrancières m'ulcèrent. Mais plutôt que d'être NI-NI (variante facile du « tous pourris »), j'ai choisi d'être plutôt POUR-POUR, en partant d'un constat : le métier de politique n'a jamais été aussi difficile, complexe et ingrat qu'aujourd'hui. Il est urgent que le citoyen en prenne conscience pour cesser d'honnir celles et ceux à qui il a choisi de laisser les clés de la cité, celles et ceux à qui il reproche la démagogie dont il est premier responsable. Etant « sans famille », je n'ai aucun réflexe de vote. Nulle évidence, nulle fidélité, nul préjugé (quoi qu'il faille toujours se méfier de ce genre d'affirmation) ne viennent me dire à l'avance qui je devrai choisir lorsque je mettrai le bulletin dans l'urne. Et je le confesse volontiers : j'adore aller voter, j'adore les atmosphères de campagnes électorales, j'adore détester les concours de langue de bois dans la soirée qui suit le vote, etc.
Alors, qui doit gouverner ? Le seul critère acceptable quand on n'a pas de famille politique, c'est de s'interroger sur « le meilleur pour la France ». La formule est un peu grandiloquente, mais il faut la défendre, car elle est la seule acceptable. Au point où en est la campagne (nous sommes à la veille du premier tour des primaires socialistes), voici l'état de ma réflexion et de mon hésitation.
1) Le spectacle réussi des débats socialistes montre qu'il y aurait beaucoup d'intérêt à ce que l'alternance se produise. La gauche, en retrouvant les manettes du pouvoir dans un contexte de très grave crise, se convertirait au réalisme - en tout cas, on peut l'espérer. Ce n'est pas tout à fait ce que montrent les débats, car ils maintiennent l'idée que l'Etat peut tout et doit tout faire, à un moment où il ne peut plus grand chose. Leurs discussions montrent, sur tous les dossiers, une surenchère d'actions, de réformes, qui sont évidemment impossibles à conduire dans un contexte d'endettement gravissime de l'Etat. Ce qui fait défaut - mais c'est normal dans cette étape de la campagne qui s'adresse à la gauche seule — c'est la hiérarchisation des priorités. Valls et Hollande sont les seuls à prendre quelques risques en décidant de quelques priorités (sécurité et désendettement pour Valls ; Jeunesse pour Hollande).
2) Mais le second élément de mon hésitation est que cette gauche est bien inexpérimentée pour résoudre des problèmes, voire des crises internationales, qui se jouent sous nos yeux. Le président sortant dispose ici d'un avantage, dont je continue à croire qu'il sera décisif au moment de l'élection présidentielle. Le problème numéro 1 est la crise internationale financière et Sarkozy a été sur ce point à son meilleur niveau. Il y aurait un risque colossal à choisir un président normal dans une situation de crise qui suppose, on l'a vu, des réactions rapides et dévoile des leviers inespérés. Je trouve, de ce point de vue, l'analyse de Jean-Louis Schlegel (voir message précédent) impeccable. On a davantage besoin d'une force d'action rapide que d'une nouvelle force tranquille ! Et je ne cède pas ici à la mythologie du grand homme qui sait dire non. L'idée est que ces moments décisifs sont les moments où l'impuissance publique qui règne souvent dans les temps démocratiques (pour le meilleur comme pour le pire) s'estompe. Devant la nécessité, l'éventail des possibles s'élargit (pardon du monstre philosophique que cette formule représente !), car il FAUT décider. Si la démocratie et la France joue son avenir dans ce type de crises, il vaut mieux préférer quelqu'un qui a fait ses preuves.
Voilà l'état de ma réflexion et de mes arguments en ce 6 octobre 2011. A suivre …

mercredi 5 octobre 2011

Article de Jean-Louis Schlegel dans le Monde

La République a-t-elle vraiment besoin d'un président « normal » ?
Par Jean-Louis Schlegel (Le Monde, jeudi 6 octobre 2011, p. 28).

"Est souverain celui qui décide de la situation exceptionnelle." Si on accepte d'interpréter la pensée politique du philosophe allemand Carl Schmitt dans le cadre de la démocratie, la célèbre phrase qui ouvre sa Théologie politique (1922) peutdonner à penser sur la campagne présidentielle, en particulier sur le concept de "normalité" du futur président, revendiquée par un des participants à la primaire socialiste.
Comme beaucoup, à partir du jour même de l'élection célébrée au Fouquet's, j'ai été plus d'une fois atterré par les débordements verbaux et le comportement outrancier de M. Sarkozy dans le cadre de ses responsabilités politiques "ordinaires" ou "normales". "Sarkozy, je te vois" : j'aurais pu reprendre à mon compte l'exclamation de l'enseignant marseillais devant la vulgarité présidentielle lors de sorties et de réunions publiques (ne parlons pas des multiples échos off, dans la presse ou sur Internet). L'appel à la rigueur, aux vertus, voire à la modération chez les autres, sans en manifester beaucoup lui-même : M. Sarkozy se sera rendu insupportable là-dessus. N'ayant pas voté pour lui, je n'ai pas eu àregretter d'avoir soutenu un président si peu recommandable dans ses manières ou dans sa présentation et maintenant, de surcroît, mis en cause dans des histoires de corruption.
Pourtant, au-delà de politiques contestables, voire détestables, au-delà de déclarations peu dignes de la fonction, on peut ne pas partager l'antisarkozisme virulent, sans nuances, aveuglé par la "manière" du personnage au point d'oublierqu'il a fait et fait de la politique. Car si la politique est aussi la décision et l'action, le courage de la décision et de l'action, on devrait déplacer quelque peu le curseur du jugement porté sur la présidence de Nicolas Sarkozy.
Malgré toutes les critiques sur le style et le fond, on a le droit d'apprécier le volontarisme en politique - il y en a si peu ailleurs ! -, les coups de pied dans la fourmilière. J'allais dire : dans notre fourmilière d'évidences, de bons sentiments, d'arguments trop immédiatement moraux et trop peu politiques, de statuts et d'avantages définitivement acquis aux classes moyennes et aux salariés bénéficiant d'un emploi. Nicolas Sarkozy a accepté d'être très impopulaire, sur les retraites par exemple : même si les critiques de MM. Thibault, Chérèque, Mailly et d'autres étaient justifiées et même si je connais moi-même de nombreux "perdants" immédiats de la réforme, j'ai tendance à saluer - plus encore aujourd'hui qu'il y a un an - sa résistance à une opposition aussi longue, vaste et déterminée.
C'est un exemple parmi d'autres. On devrait surtout lui rendre justice pour sa capacité "souveraine" d'action et de décision dans les situations exceptionnelles de politique extérieure et intérieure, et on devrait le faire même hors succès acquis aux yeux de tous ou incontestables au jugement de l'histoire future. Dans les crises financière et économique de 2008 et 2011, en Géorgie, en Afghanistan, en Côte d'Ivoire, en Libye et lors du printemps arabe, Nicolas Sarkozy a été - malgré toutes ses limites de forme et de contenu - à la hauteur de l'"état d'urgence" ou de l'"état d'exception" - autres traductions possibles d' Ausnahmezustand, le mot employé par Carl Schmitt. D'ailleurs, la marque la plus tangible de cette "souveraineté" est que la critique de l'opposition semblait alors, et semble toujours,tourner à vide. On peut reconnaître cela sans oublier le reste, et même si M. Sarkozy est lui-même le premier responsable du caractère illisible de ses performances politiques.
La situation du monde crée-t-elle une situation exceptionnelle, un état d'urgence permanents ? Laissons cette opinion à l'UMP, qui en tire argument pour la reconduction du président en place. C'est l'argument sécuritaire, ou l'"après-nous, le chaos", qui reviennent étendus aux dimensions du monde et de la politique extérieure. Néanmoins, le critère de la capacité exceptionnelle de décision et d'action en démocratie devrait être apprécié à sa juste valeur. Et quand un candidat aux primaires socialistes revendique sa "normalité", il devrait peut-être au contraireinquiéter.
"Normalité" en quoi et par rapport à quoi exactement ? Aux "pathologies", aux excès, aux foucades, du président actuel, à l'image ternie de la dignité présidentielle ? Tout le monde l'accordera volontiers : un président "normal" en ce sens-là, qui exciterait moins les passions françaises en maîtrisant les siennes, serait certainement bienvenu. Mais il en va autrement en matière d'action et de décision politiques : le très "normal" et brillant M. Hollande sera-t-il autre chose qu'un bon, sage et pépère gestionnaire du quotidien ? Quelle nouveauté, quelles ruptures, quelles décisions, quelles réformes impopulaires assume-t-il ? On n'en sait rien, ou presque rien. Ses partisans vantent l'exceptionnelle normalité du "Corrézien" - un rappel ou un label, qu'une présidence récente, sympathique mais d'une inaction notoire, devrait pourtant rendre douteux.
Face à M. Sarkozy, on peut certes faire entrer dans la "normalité" - M. Hollande et ses partisans ne s'en privent pas - toutes les qualités imaginables (sauf l'imagination elle-même) : patience, honnêteté, sincérité, perspicacité, sang-froid, cohérence, constance, maîtrise de soi...
Mais tout cela s'apparente à des vertus personnelles plus qu'à des qualités politiques, a fortiori à la capacité d'incarner de façon exceptionnelle - oui, exceptionnelle ! - une ligne politique. Même dans le quotidien, un dirigeant politique ne doit-il pas aussi imaginer le neuf, rompredéciderrésisterrefuser les normalités reçues, et d'abord les conformités et la tyrannie de l'opinion ? La "force tranquille" de M. Hollande donne en réalité une idée faible de cette capacité à réagiret à agirOpposer le seul rempart du "normal" - fût-il exceptionnel - à la situation exceptionnelle non choisie est un peu court. Son accession au pouvoir serait même, nous annonce-t-on pour nous rassurer, l'avènement d'une "hypoprésidence" !
Le problème de M. Hollande n'est pas qu'il n'a pas été ministre. Ce ne sont pas non plus ses qualités et vertus personnelles. C'est son inaction à la tête du Parti socialiste, son incapacité ne fût-ce qu'à proposer un minimum de travail et de réflexion sur l'avenir et la rénovation de la social-démocratie. S'il y avait une attente à formuler à son égard, c'est précisément qu'il se débarrasse de sa normalité pour nous faire découvrir ses capacités anormales d'affronter des urgences et deprendre des décisions. Ses challengers aux primaires socialistes portent aussi la charge de cette preuve, mais au moins aucun d'entre eux, jusqu'à présent, n'a prétendu exercer une présidence "normale" face aux temps exceptionnellement difficiles qu'il faudra affronter.