C’est le nouveau concept à la mode : le coup d’Etat des marchés ! Constatant les démissions en chaîne à la tête des gouvernements dans un contexte de crise, on en déduit que ce sont les marchés qui imposent désormais leur volonté au peuple. Et, il suffit de remarquer, en outre, que les nouveaux dirigeants sont, pour certains d’entre eux, des anciens de Goldman Sachs, pour en tirer les conséquences … évidentes : la ploutocratie mondiale a définitivement vaincu la démocratie nationale. Les « 200 familles » ne sont plus « bien de chez nous », mais dans un espace indéterminé, ressemblant à l’Olympe manipulateur des héros de l’Iliade.
Face à cette lecture simpl(ist)e et efficace, qui est en train de tourner en boucle, il faut opposer au moins trois arguments.
1) D’abord, il ne s’agit nulle part de « coups d’Etat » : les changements se font en conformité avec les règles constitutionnelles de chacun des pays. A aucun moment le processus de la démocratie représentative n’a été transgressé.
2) Ensuite, avant même de voir la main des marchés, il faut noter que ces gouvernements ont sauté d’abord et avant pour ne pas avoir su apporter des réponses satisfaisantes à une crise qui est à la fois politique, budgétaire et économique. Certes, on reproche aux « marchés » et aux « maîtres franco-allemands de l’Europe » d’avoir interdit à Papandréou de faire appel au peuple par le referendum. Mais il faut rappeler que ce referendum était dans l’esprit du désormais ex-Premier ministre grec moins un « appel au peuple » qu’un coup politique de la dernière chance pour tenter de sauver sa majorité. Le fait que ce coup politique puisse avoir de graves effets sur les autres Etats européens, qui avaient apporté leur aide à la Grèce, permet — me semble-t-il — d’expliquer et de justifier les « aimables conseils » des chefs de ces autres Etats. Il ne s’agit pas en l’espèce d’une pression des marchés, mais d’une pression des autres démocraties dans un espace européen institutionnel commun. Où est le mal ? J’ajoute qu’il y aurait une certaine ironie de l’histoire à voir les marchés ait souhaité déboulonner le très libéral Berlusconi, longtemps considéré comme le plus beau fleuron du capitalisme financier.
3) Enfin, il y a un « très » léger simplisme dans l’analyse qui consiste à opposer marché et peuple comme deux figures adverses. A vrai dire, ni les uns ni l’autre ne sont des entités repérables. Il n’y a pas, d’un côté, les méchants hommes d’affaire planqués dans leurs buildings de verre ; ni, de l’autre, le bon peuple travailleur et innocent. Cette logique complotiste ne fait pas droit à la complexité de la situation. Le marché comme le peuple sont des processus et non des entités. D’un côté, on a un processus complexe de création de valeur, dont une partie (financière) tend à échapper à toute espèce de maîtrise, quand bien même il y a à sa base des fonds de pension rassemblant les économies de gens du peuple bien réels ; d’un autre côté, on a un processus tout aussi complexe de création de volonté générale (élection, délibération, décision, élection, …), qui suppose de se garder de deux dangers : la technocratie (ou le mépris du peuple) et la démagogie (ou l’idolâtrie du peuple). Le grand défi actuel est de faire en sorte que le second processus (démocratique) garde la main sur le premier (capitaliste) dans un contexte de mondialisation où bien des pays, impatients de mettre en œuvre le premier pour entrer dans la prospérité, négligent, pour le moment, le second. De ce point de vue, nous ne sommes pas prêts de sortir de la mondialisation !
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire