par P.-H. Tavoillot
--> Le débat se poursuit sur France 3, mardi 15 novembre : Ce soir (ou Jamais !) ; puis au Collège de Philosophie, Samedi 19 novembre 2011 (Sorbonne Amphi Michelet), 14h-17h avec Marcel Gauchet et Eric Deschavanne ; et sur France Culture, le lundi 21 novembre 2011, en direct à partir de 10h45.
[Paru dans L'Express, 9-15 novembre 2011]
On sait ce qu’est la démocratie : « le gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple ». Mais la question de savoir « qui est le peuple ? » reste une énigme, qui est au cœur des grands défis du présent. Le latin rend mieux la difficulté : le peuple est-ce le populus ou le plebs ?
Le Populus c’est l’ensemble de la communauté nationale, considéré d’un point de vue idéal : la sagesse collective, l’intérêt commun, ou ce que Rousseau appelait la « volonté générale », c’est-à-dire non pas la somme des volontés particulières, mais une seule et même raison collective. C’est là sans doute une belle idée, mais bien abstraite et surtout difficile à incarner dans des institutions.
Le Plebs, en revanche, c’est la populace, la masse, les gueux, avec ce que cela connote d’ignorance, d’égoïsme, de versatilité, voire de violence. C’est une image menaçante, mais c’est aussi la source de l’énergie, le cœur de l’action, la réalité vivante et historique d’un pays.
La démocratie s’installe sur cette ambiguïté d’un peuple à la fois héroïque et diabolique, avec d’emblée une double tentation politique : d’un côté, la technocratie, ou l’idée qu’il faut des élites pour guider le vilain plebs vers le beau populus ; de l’autre, la démagogie ou le populisme, à savoir l’identification du populus élitiste au plebs charnel.
La démocratie balance entre ces deux défauts sans jamais parvenir au bon équilibre ce qui alimente son incessante critique (c’est « le pire des régimes à l’exception de tous les autres ») et la continuelle déception à son égard. Regardez l’Europe et sa crise gravissime : c’est le résultat d’un triomphe de la technocratie par défaut de peuple. Et le grand défi à venir sera de parvenir à créer le peuple (demos) et le pouvoir (cratos) européens en même temps … et, qui plus est, très vite ! Regardez, d’autre part, notre campagne électorale : à peine commencée, elle est guidée par les « rêves éveillés » d’adolescents attardés en mal de super-héros qui aspirent à « démondialiser », à faire disparaître les agences de notation, à abolir la finance et à mâter les banques. Bref tous ceux qui, loin des responsabilités, oublient qu’« après une campagne en vers, il faudra gouverner en prose », comme disait un ancien maire de New York, Mario Cuomo.
Contre ces deux dérives, il faudrait parvenir à se convaincre que le peuple de la démocratie n’est pas une figure idéale (Populus ou plebs) qu’un politicien devrait incarner pour gouverner ; mais qu’il désigne d’abord et avant tout une méthode de gouvernement. C’est cette méthode que l’élu doit savoir représenter. Sur le papier, elle est simple et limpide : elle exige 1) de délibérer publiquement ; 2) de décider politiquement ; 3) de rendre des comptes électoralement. Mais dans les faits elle est très complexe à mettre en œuvre, surtout pour ce qui est de la décision politique soumise à une contestation hyperbolique. Le politicien est en effet la cible de toutes les détestations, même paradoxales : il est perçu comme un puissant incapable, un corrompu surpayé, un démagogue méprisant, un gesticulateur frileux … A quoi il faut ajouter qu’il opère dans un contexte où les contraintes politiques, économiques et environnementales dépassent le cadre de l’Etat-Nation ; et où la technicité des dossiers atteint une ampleur inégalée. Bref, l’ensemble de ces facteurs rend l’exercice du pouvoir démocratique, contesté à l’intérieur et contraint à l’extérieur, extraordinairement difficile.
C’est cette extrême difficulté que le citoyen doit désormais intégrer lorsqu’il répond pour lui-même en votant à la question « qui doit gouverner ? ». Il doit veiller à ce que son indignation spontanée contre le pouvoir ne mette pas en péril l’exercice même du gouvernement. Faute de quoi, il risquerait de jeter le demos avec l’eau du cratos. --> Le débat se poursuit sur France 3, mardi 15 novembre : Ce soir (ou Jamais !) ; puis au Collège de Philosophie, Samedi 19 novembre 2011 (Sorbonne Amphi Michelet), 14h-17h avec Marcel Gauchet et Eric Deschavanne ; et sur France Culture, le lundi 21 novembre 2011, en direct à partir de 10h45.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire